Propositions de la Société des lecteurs du Monde aux EGI

« Promouvoir la participation citoyenne au sein des médias. »

Hubert Beuve-Méry estimait que pour être bon journaliste il ne « faut pas ennuyer son lecteur, il faut l’intéresser, l’émouvoir, lui apprendre quelque chose, le distraire, autrement dit être féminin »
Il serait aujourd’hui possible de rajouter « l’impliquer ».


La création de la Société des lecteurs du Monde, en 1985, est une initiative, exemplaire et aboutie, de la participation citoyenne dans le capital, la gouvernance, la défense de la qualité, de la liberté éditoriale et de l’indépendance d’un média.
Créée dans un contexte spécifique, l’exemple de la Société des lecteurs du Monde n’est pas automatiquement duplicable pour les autres médias mais plusieurs valeurs et modalités de participation dans la vie du Groupe le Monde peuvent servir de réflexion et de référence dans le cadre des États généraux de l’information.
Par simplicité, nous emploierons indifféremment le terme citoyen.nes / lecteurs.rices pour identifier le public de lecteurs, auditeurs, téléspectateurs, internautes, mobinautes …

Première proposition. Associer les citoyens à la défense d’une offre de médias libres et fiables.
L’information libre et de qualité est une composante essentielle d’une démocratie solide.
Les médias et leurs audiences organisent un écosystème qui se nourrit d’interactions mutuelles. La participation citoyenne au sein des médias renforce le postulat que les médias ne sont pas des produits de consommation banals mais peuvent être considérés comme un bien commun, dont le rôle démocratique est essentiel pour la cohésion de notre société.
Cette participation peut revêtir de multiples formes et niveaux d’implication financière, organisationnelle, décisionnelle ou consultative. Elle ne doit cependant jamais affecter la liberté éditoriale qui doit rester de la responsabilité exclusive des rédactions.

Deuxième proposition. Réserver une partie du capital des médias aux citoyens – lecteurs.
La participation financière des lecteurs du Monde a permis à la SDL de devenir un actionnaire clé pendant plusieurs décennies et aujourd’hui encore, de faire partie des actionnaires minoritaires auprès des membres du Pôle d’indépendance.
La participation financière citoyenne n’a pas de vocation spéculative. Elle permet d’imaginer des formes juridiques novatrices dans le cadre desquelles les lecteurs peuvent participer à certaines décisions ou aux instances de gouvernance des médias. Ces structures peuvent être de simples associations, opter pour des formes juridiques plus complexes (la société des lecteurs du Monde est une SA, jusqu’à très récemment cotée au second marché), ou envisager des formes juridiques novatrices (fonds de pérennité pour les médias).

Le contexte actuel, dans lequel de nombreux médias font appel au financement participatif pour leur lancement ou leur développement, sont des opportunités pour intégrer les citoyens dans l’économie de leur structure.

Troisième proposition. Favoriser la participation citoyenne aux réflexions sur l’éthique et la déontologie journalistiques.
La déontologie et les questions éthiques sont au cœur de la confiance des citoyens envers les médias. Les lecteurs sont particulièrement attentifs aux questions relatives à l’exactitude des faits, au respect des personnes, à la distinction entre la promotion et l’information, aux conflits d’intérêt… Ils peuvent saisir depuis 2020 le Conseil de déontologie journalistique et de médiation (CDJM), sur des actes journalistiques précis pour lesquels ils considèrent que des règles déontologiques n’ont pas été respectées.
Au sein des médias, des instances ont été créées afin de réfléchir aux questions d’éthique et de déontologie. Elles permettent d’échanger sur les questions spécifiques du média et d’élaborer des chartes internes, préconisées par la loi Bloche. La participation des lecteurs à ces instances (au même titre que le public est représenté dans l’organisation tripartite du CDJM), est particulièrement importante.  La Société des lecteurs du Monde a un rôle actif au sein du Comité d’éthique et de déontologie du Monde. Initiateur du Comité, la Société des lecteurs du Monde a permis d’intégrer les questionnements du point de vue des lecteurs et d’enrichir les réflexions aux côtés des journalistes, de la direction, des personnels et des personnalités externes.  C’est un exemple qui pourrait utilement être dupliqué dans d’autres médias.

Quatrième proposition. Instaurer un système de bons, attribués par les citoyens, aux médias de leur choix.
Le système actuel des aides à la presse est assez largement décrié. La proposition, développée par Julia Cagé et Benoît Huet dans « l’information est un bien public » consiste à proposer aux citoyens d’attribuer un bon de 10 euros à un média de leur choix, au moment de leur déclaration de revenus.

Cette possibilité pourrait être associée à des critères qualitatifs, notamment à une proportion minimale de journalistes, aux démarches pour valoriser la déontologie journalistique ou à des entités non lucratives.

Cinquième proposition. Favoriser la participation des lecteurs à la gouvernance des médias.
L’expérience de la Société des lecteurs est également instructive en la matière. Après avoir été un actionnaire de référence, la SDL est membre actif des instances de gouvernance (Conseil de surveillance, Pôle d’indépendance, Comité d’éthique et de déontologie). Elle a été à l’initiative de la création du Pôle d’indépendance et du Comité d’éthique et de déontologie et de plusieurs propositions destinées à défendre l’indépendance des rédactions.
La participation active des lecteurs, aux côtés des journalistes et des autres personnels, favorise la représentation démocratique au sein de la gouvernance des médias.

Cette implication, dans les instances de gouvernance, peut revêtir de multiples formes en fonction de la nature de l’entité représentative des lecteurs et de l’organisation et la forme juridique du média.

Ces propositions montrent, à l’évidence, que de nombreuses initiatives sont ouvertes pour organiser la participation du public à la vie des médias et renforcer leur dimension démocratique.  

C’est un point essentiel pour prendre en considération les attentes des citoyens et rétablir la confiance qu’ils accordent aux journalistes et aux médias. 

La Société des lecteurs du Monde en bref.
La Société des lecteurs du Monde, créée en 1985, réunit 12 000 lecteurs-actionnaires, qui se sont mobilisés à trois reprises (1985, 1987 et 2002) pour lever 6 millions d’euros intégralement investis dans le quotidien.

Les statuts de la SDL sont explicites : « La société est destinée à regrouper des personnes physiques ou morales attachées à l’existence du quotidien Le Monde, soucieuses d’en assurer l’indépendance à l’égard de tout pouvoir économique et politique. »

Au travers de cet engagement fondateur, la SDL considère qu’une presse libre, de qualité, est une composante essentielle d’une grande démocratie.
Nos lecteurs-actionnaires se reconnaissent dans ces valeurs, humanistes et européennes, et ont conscience qu’une telle presse, à l’exigence quotidienne et aux valeurs éthiques et déontologiques, est un bien précieux que seule une stricte indépendance permet de préserver.

La SDL est aujourd’hui, dans le monde des médias, un exemple unique d’une société de lecteurs à détenir une part significative du capital de son journal au sein d’un grand groupe multimédia de référence.
A ce titre, elle est présente dans les trois instances de gouvernance majeures du groupe. Premièrement, au conseil de surveillance, la SDL y est un acteur indépendant, au regard pertinent sur la gouvernance du Groupe Le Monde.
Initiatrice du pôle d’indépendance, actionnaire minoritaire du groupe, la SDL y assure un équilibre entre les différentes sociétés, notamment de personnel, qui la composent.
Et, enfin, membre du comité d’éthique et de déontologie, la SDL en assure le choix du président. 

Depuis le 16 janvier 2020, Julia Cagé, économiste et professeur à Sciences Po, spécialisée dans le financement des médias et de la vie publique, est présidente-directrice générale de la Société des lecteurs du Monde. La Société des lecteurs du Monde est à l’initiative de la création d’Un bout des médias, dont Julia Cagé est également présidente.

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